Dans une entreprise, tout ne se décide pas unilatéralement. Salaires, télétravail, durée du travail, égalité professionnelle, intéressement… sont autant de sujets qui relèvent de la négociation collective. Mais cette négociation ne s’improvise pas. Elle obéit à des règles précises qui déterminent qui peut s’asseoir à la table des discussions, au nom de qui, et selon quelles conditions. Car un accord signé par des personnes non habilitées n’a aucune valeur. Pire, il peut fragiliser durablement le dialogue social et créer des situations de vide juridique.
Comprendre qui peut négocier, c’est donc comprendre comment se construit le droit dans l’entreprise. C’est aussi se donner les moyens d’agir efficacement, que l’on soit élu, délégué syndical ou salarié concerné par un projet d’accord.
ATLANTES Avocats vous présente les acteurs légitimes de la négociation collective, leurs prérogatives respectives et les règles qui encadrent leur intervention.
Le délégué syndical : le négociateur de droit commun
Qui est le délégué syndical ?
Le délégué syndical (DS) représente une organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise, c’est-à-dire ayant obtenu plus de 10% des voix aux dernières élections professionnelles.
Il est désigné par son syndicat parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections du comité social et économique (CSE).
Sa désignation est possible dans toute entreprise qui dispose d’une organisation syndicale représentative :
- à partir de 50 salariés, sa présence est obligatoire si le syndicat le souhaite ;
- dans les établissements de moins de 50 salariés, un syndicat représentatif peut désigner un membre élu du CSE pour exercer ce rôle.
Le monopole de la négociation
Dans les entreprises dotées d’un ou plusieurs délégués syndicaux, ceux-ci détiennent le monopole de la négociation collective.
L’employeur ne peut donc pas négocier directement avec les élus du CSE ni avec les salariés : il doit obligatoirement passer par les délégués syndicaux, sauf en ce qui concerne l’épargne salariale.
Ce monopole garantit que la négociation se déroule entre des interlocuteurs formés, légitimes et représentatifs. Le délégué syndical dispose d’un mandat général pour négocier sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective : rémunérations, temps de travail, égalité professionnelle, conditions de travail, formation, télétravail, etc.
Les accords qu’il signe engagent l’organisation syndicale qu’il représente.
Pour qu’un accord soit valide, il doit être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.
| Bon à savoir : Si le seuil de 50 % n’est pas atteint mais que les signataires représentent au moins 30 % des suffrages, l’accord peut être soumis à referendum auprès des salariés. Il sera validé à la majorité simple des votants, à condition qu’une organisation signataire en fasse la demande dans le mois qui suit la signature. |
Les élus du CSE : négociateurs sous conditions
Le CSE, un organe consultatif
Le comité social et économique n’a pas vocation première à négocier des accords collectifs : son rôle est consultatif.
Toutefois, en l’absence de délégué syndical, les élus du CSE peuvent devenir des négociateurs légitimes, sous certaines conditions strictement encadrées par la loi.
Le mandat syndical : la voie classique
Dans les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, un élu du CSE peut être mandaté par une organisation syndicale représentative au niveau de la branche pour négocier un accord.
Ce mandat doit être écrit et préciser le périmètre de la négociation : objet de la négociation, thèmes abordés, durée, etc.
Une fois l’accord signé, il doit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés lors d’un referendum.
Cette procédure permet d’ouvrir la négociation dans les petites structures tout en garantissant le lien avec les organisations syndicales.
La négociation sans mandat : un champ élargi mais encadré
Dans les entreprises de 11 à 49 salariés dépourvues de délégué syndical, les membres titulaires du CSE peuvent négocier et conclure un accord collectif sans être mandatés par une organisation syndicale.
Depuis les ordonnances de 2017, cette possibilité n’est plus limitée à certains thèmes comme elle l’était auparavant. Aussi, les élus peuvent aujourd’hui aborder tous les sujets ouverts à la négociation d’entreprise : rémunération, organisation du temps de travail, égalité professionnelle, télétravail, conditions de travail, etc.
Pour être valable, l’accord doit être signé par des élus représentant la majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des dernières élections du CSE, qu’un quorum ait été atteint ou non.
Le salarié mandaté : une solution pour les entreprises sans délégué syndical
Dans les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, il est possible de recourir à un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative au niveau de la branche.
Ce dispositif, prévu par les articles L2232-23-1 et L2232-24 du Code du travail, permet d’ouvrir la négociation collective même dans les structures où le dialogue social est peu formalisé.
Le salarié mandaté agit au nom du syndicat qui lui confie le mandat. Cette désignation lui confère une légitimité juridique pour engager des discussions avec l’employeur et signer un accord au nom de l’organisation syndicale.
Les conditions de validité de l’accord
Deux situations doivent être distinguées :
- Le salarié mandaté est membre du CSE : l’accord est valide dès lors qu’il est signé par des élus représentant la majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des élections professionnelles.
- Le salarié mandaté n’est pas membre du CSE : l’accord doit être approuvé par referendum à la majorité des suffrages exprimés parmi les salariés. Ce mécanisme garantit la légitimité démocratique de la négociation, même en l’absence de représentant élu.
Le statut du salarié mandaté
Le salarié mandaté n’est pas un représentant élu. Il ne bénéficie d’une protection contre le licenciement que pendant la durée du mandat et les négociations en cours. Une fois le mandat achevé (accord signé, PV de désaccord ou fin de négociation), le salarié retrouve son statut initial.
| À retenir : Ce dispositif offre une alternative encadrée pour maintenir le dialogue social dans les plus petites entreprises, tout en garantissant la légitimité des accords signés. |
La négociation directe avec les salariés : un cas très encadré
Dans quelles situations ?
Dans les entreprises de moins de 11 salariés, ou dans celles de 11 à 20 salariés dépourvues de CSE pendant au moins 12 mois, l’employeur peut proposer un projet d’accord directement aux salariés, sans passer par un représentant du personnel ou un délégué syndical.
Ce projet peut porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective, à l’exception de ceux pour lesquels la loi impose expressément la présence d’un délégué syndical comme certains accords de performance collective.
Cette possibilité reste toutefois encadrée pour éviter que l’employeur ne contourne les règles du dialogue social ou n’impose unilatéralement ses choix sous couvert de consultation.
Une validation stricte
Le projet d’accord est alors soumis à l’approbation des salariés à la majorité des deux tiers du personnel. La consultation doit respecter des règles de forme précises :
- information préalable des salariés sur le contenu du projet, au moins 15 jours avant la consultation ;
- remise d’un document écrit complet et lisible ;
- organisation d’un vote à bulletin secret garantissant l’anonymat ;
- procès-verbal de consultation signé par l’employeur et contresigné par les salariés.
Une fois approuvé, l’accord doit être déposé auprès de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) pour être opposable. Sans ce dépôt, l’accord ne peut pas produire d’effets juridiques.
| Bon à savoir : La consultation directe des salariés ne dispense pas l’employeur de respecter les règles de fond : l’accord ne peut pas déroger défavorablement aux dispositions d’ordre public, ni méconnaître les règles impératives de la convention collective applicable. |
Le conseil d’entreprise : la négociation centralisée par accord collectif
Il est possible, par accord collectif majoritaire, de transformer le CSE en « conseil d’entreprise ».
Cette instance facultative se voit attribuer à la fois toutes les missions du CSE et la compétence exclusive pour négocier, conclure et réviser les accords collectifs dans l’entreprise, y compris en présence de délégués syndicaux.
Le conseil d’entreprise dispose ainsi, par accord, d’un véritable monopole de négociation. Le temps passé par ses membres à négocier est assimilé à du temps de travail effectif et un nombre d’heures de délégation peut être prévu par accord.
Tableau récapitulatif : qui peut négocier selon la configuration de l’entreprise ?
| Effectif de l’entreprise | Présence de représentants | Qui peut négocier ? | Modalités de validation |
| Moins de 11 salariés | Aucun représentant | L’employeur propose un projet d’accord directement aux salariés | Approbation à la majorité des 2/3 des salariés (articles L2232-21 et L2232-22) |
| 11 à 49 salariés | CSE sans délégué syndical | Membres titulaires du CSE, mandatés ou non | Signature par des élus représentant la majorité des suffrages exprimés lors du 1er tour des dernières élections (article L2232-23-1, II) |
| 11 à 49 salariés | Aucun représentant | Salarié mandaté non membre du CSE | Approbation par référendum à la majorité des suffrages exprimés (article L2232-23-1, II) |
| 50 salariés et plus | Délégué(s) syndical(aux) | Délégué syndical représentant une organisation syndicale représentative | Signature par des syndicats représentant au moins 50 % des suffrages exprimés ou, à défaut, référendum si 30 % minimum (articles L2232-12 à L2232-13) |
| Bon à savoir : le dépôt auprès de la DREETS Une fois signé, l’accord collectif doit être déposé sur la plateforme TéléAccords, conformément aux articles L2231-6 et D2231-2 du Code du travail. Le dossier comprend le texte signé, ses annexes éventuelles et les pièces justifiant la représentativité des signataires.Ce dépôt est indispensable : sans lui, l’accord ne produit aucun effet juridique et ne peut être opposé ni à l’employeur, ni aux salariés. Après dépôt, l’administration procède à sa publication sur Légifrance, sous réserve des clauses couvertes par le secret industriel ou commercial. |
La négociation collective ne se résume pas à une simple procédure administrative : c’est le lieu où se construit le droit vivant de l’entreprise.
Aussi, savoir qui peut négocier n’est pas qu’une question technique. C’est comprendre comment s’organise le dialogue social, comment se répartissent les pouvoirs et comment les salariés peuvent peser sur les décisions qui les concernent.
Délégué syndical, élu du CSE, salarié mandaté ou consultation directe : chaque configuration a ses règles, ses atouts et ses limites. Mais toutes partagent un objectif commun : permettre aux salariés de participer à la définition de leurs conditions de travail et de bénéficier d’un dialogue social équilibré, transparent et sincère.
Pour les représentants du personnel, maîtriser ces règles, c’est se donner les moyens d’agir efficacement et de défendre les intérêts du collectif avec légitimité. Pour les salariés, c’est comprendre qui parle en leur nom et dans quelles conditions. Et pour tous, c’est rappeler que le droit du travail n’est pas une mécanique froide : c’est un outil d’équilibre et de justice sociale, qui n’a de sens que s’il est porté par des acteurs formés, vigilants et déterminés à faire vivre le dialogue social.