Publications

La plume de l'alouette
Novembre 2023

Le quai de Ouistreham : on ne cherche pas du travail mais des heures.

À Marseille la récente grève des travailleurs de la société de nettoyage de la gare Saint Charles a remis en lumière la dureté des conditions de travail des salariés de ce secteur.

Cette actualité est l’occasion de revenir sur l’ouvrage de Florence AUBENAS : « Le Quai de Ouistreham ». À la fois documentaire et fiction ce récit paru en 2010 aux éditions de l’Olivier et véritable succès littéraire narre l’expérience d’immersion de Florence AUBENAS dans le monde des précaires du nettoyage.

Sans révéler qu’elle est journaliste et en ne déclarant que son bac littéraire, celle-ci part pour Caen et s’inscrit au chômage. Son but : obtenir un CDI. À Pôle Emploi, on lui propose de saisir sa chance : devenir agent de propreté, un secteur « d’avenir »… S’en suit un témoignage poignant sur le travail précaire et la recherche d’emploi dans le contexte de la crise économique de 2008.

Le récit dans Caen et ses banlieues, met en lumière la désolation économique de la région, marquée par d’anciennes usines fermées, zones industrielles en déshérence, friches et hauts-fourneaux désaffectés. Florence AUBENAS raconte sa recherche d’emploi, ses entretiens d’embauche, sa collaboration avec Pôle Emploi. Elle décrit également comment les conseillers Pôle emploi, eux-mêmes, sont soumis aux impératifs de rendement du capitalisme, comment ils sont passés de travailleurs sociaux à « placeurs de chômeurs » répondant aux impératifs du Chiffre.

Florence AUBENAS expose sans fard la réalité du travail dans le secteur de la propreté qu’elle partage avec ses compagnons d’infortune. Salaire à la tâche, délais serrés, heures supplémentaires jamais payées, mépris et humiliations journalières deviennent son quotidien. Elle dépeint également cette vie dictée par le temps : les précaires jonglent entre des emplois de quelques heures, des ateliers de recherche d’emploi, les visites à Pôle Emploi et leurs innombrables déplacements. Les horaires de travail sont éclatés, les amplitudes journalières énormes et les travailleurs sont constamment en compétition les uns avec les autres. Nous assistons à une forme d’enchères inversées, le poste reviendra aux plus flexibles, aux plus corvéables. S’ajoute à cela la crainte permanente de se faire radier de Pôle emploi, de refuser des missions, de participer à un pot de départ
d’une collègue licenciée, d’accepter un tract distribué par un syndicat ou d’être en retard quand son véhicule rend l’âme. C’est un système où la maladie des uns fait le bonheur de ceux qui prendront temporairement leur place et tenteront de la garder.

Le récit témoigne également de la dignité et de la résilience des travailleurs précaires qui, malgré les difficultés et les offenses, gardent leur fierté et une forte estime du travail.

En fin de compte, « Le Quai de Ouistreham » offre un témoignage brut et poignant sur la réalité du travail précaire et de la recherche d’emploi en France, mettant en lumière sans jugement ni voyeurisme le quotidien et les défis des travailleurs pauvres. Une véritable plongée dans un monde où la politique, les idéaux et les acquis sociaux semblent absents et où la santé devient un luxe pour ceux qui n’ont que la CMU.

Si le livre de Florence AUBENAS n’a pas la prétention d’être politique, la forme d’aliénation et d’exploitation qu’elle décrit, laquelle est hélas toujours d’actualité dans tout un pan de notre économie, nécessiterait une réelle réponse politique.

Précisons enfin qu’une adaptation cinématographique a été réalisée en 2021 par Emmanuel Carrère dont l’accueil critique fut moins élogieux que celui réservé à l’œuvre littéraire.

Justin SAILLARD-TREPPOZ
Juriste / Responsable de la région AURA

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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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