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La plume de l'alouette
Janvier 2021

REGARDS CROISES : Télétravail, enjeux & risques pour la santé du salarié


La pratique du télétravail contrainte dans le cadre de la crise sanitaire doit nous interroger sur ce nouveau mode d’organisation du travail qui va être amené à se pérenniser.
Les partenaires sociaux se sont emparés du sujet et sont parvenus à la conclusion d’un accord national interprofessionnel (ANI) le 26/11/2020. Pour autant, la notion de télétravail reste complexe.
A travers cet échange croisé entre des experts de SECAFI et du cabinet ATLANTES, nous souhaitons mettre en lumière l’importance des enjeux du télétravail, tant organisationnels que managériaux, à l’aune de la préservation de la santé des salariés.

Quels sont les enjeux managériaux liés à la mise en œuvre et à la pérennisation du télétravail ? 

CM  : L’ANI précise que le télétravail repose sur un « postulat fondamental - la relation de confiance entre un responsable et chaque salarié en télétravail - et deux aptitudes complémentaires - l’autonomie et la responsabilité nécessaires au télétravail  »
Dans certaines entreprises, ces pré-requis sont déjà en place et le management se concentre sur l’atteinte des objectifs par ses équipes, sans prescrire précisément et formellement les modalités pratiques d’organisation du travail permettant de les atteindre.
L’enjeu est alors de savoir équilibrer les objectifs quantitatifs avec des objectifs plus qualitatifs, garants des valeurs de l’entreprise.
Mais dans d’autres structures, focalisées sur le reporting et le contrôle, reconnaître qu’un salarié peut travailler et même travailler efficacement sans être surveillé représente une marche diffi
cile à franchir. Et, en matière de contrôle, voire de sur-contrôle, le développement des technologies numériques permet désormais d’aller très loin. La surveillance des temps passés sur les différents logiciels et sites internet, ou encore l’injonction aux réponses instantanées sur les messageries, peuvent engendrer un stress totalement improductif chez le salarié en télétravail.

Dans l’ANI, le rôle du manager de proximité est mis en exergue : on le définit, par exemple, comme « un des garants du maintien du lien social entre le salarié en télétravail et l’entreprise  », comme celui qui doit favoriser « l’articulation entre télétravail et travail sur site  ». La question est alors de savoir si les entreprises mettront à la disposition de leurs managers de proximité les moyens leur permettant d’effectuer ces missions.

Au regard de votre expérience, existe- t-il un modèle idéal de télétravail ?

CM  : Les variables sont nombreuses. A chaque entreprise de trouver la formule qui correspond le mieux à sa culture, son organisation, ses enjeux, son marché…
Toutefois, certaines grandes lignes se dessinent :
- La nécessité de trouver un juste équilibre entre les temps passés en télétravail, plutôt dédiés aux tâches réalisées seul ou demandant une concentration particulière et ceux effectués au bureau et permettant l’exécution d’activités collaboratives.
C’est en effet plutôt dans ce sens que les activités semblent se répartir, même s’il est tout à fait possible de collaborer à distance et de se concentrer au bureau.
- Ou encore l’utilité, voire la nécessité, d’accompagner la mise en place du télétravail. Je pense au soutien managérial, au déploiement d’outils spécifiques, à la formation des collaborateurs et des managers, mais aussi à la fourniture de matériels et mobiliers appropriés pour la pratique du travail au domicile.

Le télétravail semble réduire les échanges informels. Quelle importance attribuez-vous à ces échanges ?

CM  : Les échanges informels sont effectivement mis à mal par la pratique du télétravail. Par exemple, vous n’allez pas appeler un collègue que vous connaissez peu pour lui raconter votre soirée de la veille ou évoquer la dernière exposition que vous avez visitée. En revanche, vous l’auriez fait si vous l’aviez croisé à la machine à café. Or, le fait d’entretenir un lien par l’échange d’anecdotes est important. Cela « pacifie » les relations et crée du lien qui facilitera ensuite les comportements de collaboration et d’entraide. Les entreprises ont donc, me semble-t-il, un véritable intérêt à favoriser ces interactions, même si - au premier abord - elles peuvent sembler improductives.
De même, croiser un collègue lors d’un moment de détente permet parfois de sortir du « jeu d’acteur » dans lequel on peut se laisser enfermer lors d’une relation formelle, comme lors d’une réunion, par exemple. Tout le monde connaît les degrés différents d’information auxquels il est possible d’avoir accès selon que l’on discute de façon « officielle » ou en « OFF » autour d’un café avec un collègue ou un supérieur hiérarchique.

Quels sont les risques physiques liés au télétravail et à la sédentarité ?

CM  : Santé Publique France a publié récemment une étude très intéressante sur l’augmentation des lombalgies parmi les télé-travailleurs du premier confinement. Il existe un vrai enjeu sur les troubles musculosquelettiques que risquent de développer les salariés qui pratiquent le télétravail sans bénéficier des équipements adaptés (bureau, siège, écran supplémentaire…).
De plus, la
sédentarité accrue du fait du télétravail impose une hygiène de vie particulière.

L’employeur doit-il fournir les équipements nécessaires au télétravail et en assurer la maintenance ?

SB  : L’ANI du 19/07/2005 prévoit que l’employeur doit fournir, installer et entretenir les équipements nécessaires au télétravail.
Si, exceptionnellement, le salarié utilise son propre équipement, l’employeur est tenu d’en assurer l’adaptation et l’entretien.
La seule obligation légale qui incombe à l’employeur est « 
d’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions  ».
La CNIL rappelle que permettre au salarié d’utiliser des équipements informatiques personnels dans un contexte professionnel est une décision qui doit être prise après avoir mis en balance les intérêts et les inconvénients présentés par cet usage qui brouille la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle.

Comment concilier l’obligation de sécurité de l’employeur et le droit au respect de la vie privée du salarié ?

SB  : L’employeur reste soumis à ses obligations légales en matière de santé et de sécurité. Prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des télé-travailleurs implique donc pour l’employeur de s’assurer de la conformité du lieu de travail du salarié. Mais comment vérifier la bonne application des dispositions de santé et sécurité sans passer le seuil du domicile du salarié ?
Le droit au respect de la vie privée empêche, dans les faits, une maîtrise complète du lieu de travail/domicile.
Dans le cas où le salarié refuserait une visite à son domicile, une attestation sur l’honneur de conformité des installations (notamment électriques et techniques) pourrait lui être demandée, après l’avoir informé de l’ensemble des normes à respecter.
Mais une telle attestation peut poser problème : elle n’exonère pas l’employeur de s’affranchir de sa responsabilité.
La visioconférence peut également être problématique. En effet, la diffusion de l’image peut porter atteinte au droit au respect de la vie privée, notamment aux autres personnes présentes au domicile. La CNIL précise qu’un salarié doit pouvoir, en principe, refuser la diffusion de son image lors d’une visioconférence.

L’employeur doit-il former les salariés aux moyens numériques mis en place dans le cadre du télétravail ?

SB  : L’employeur est tenu d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail (C. trav., art L.6321-1). Cette obligation implique pour l’employeur de les former aux nouveaux outils numériques mis à leur disposition.
L’ANI du 19 juillet 2005 prévoit que les télétravailleurs reçoivent une formation appropriée, ciblée sur les équipements techniques à leur disposition et sur les caractéristiques de cette forme d’organisation du travail.

Christelle MAINTENANT (CM) Consultante SECAFI

Samuel BENCHEIKH (SB) Juriste - Atlantes Paris/Ile-de-France

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