Dans la vie d’une entreprise, aucun moment n’est neutre : une absence qui se prolonge, un objectif manqué, un désaccord sur la manière de travailler peuvent, un jour, mener à la rupture du contrat. En droit du travail, cette rupture n’est valable que si elle repose sur une cause réelle et sérieuse, exigence posée par l’article L1232-1 du Code du travail.

Cette notion ne se résume pas à un critère juridique : elle incarne l’un des fondements de la protection des salariés et du dialogue social. Elle rappelle que le droit du travail est un véritable levier pour rééquilibrer la relation entre employeur et salarié et prévenir les décisions arbitraires.

Mais que recouvre exactement cette notion de cause réelle et sérieuse ? Comment la jurisprudence récente redéfinit-elle les contours de cette protection essentielle ? ATLANTES Avocats fait le point.

Définition juridique de la cause réelle et sérieuse

Les deux composantes de la notion

La notion de cause réelle et sérieuse repose sur deux conditions cumulatives : la réalité des faits et leur gravité.

La cause réelle suppose que les faits invoqués pour justifier la rupture du contrat de travail soient objectifs, vérifiables et imputables au salarié. Cela signifie qu’elle exclut les jugements subjectifs, les ressentis ou les reproches imprécis.

La cause sérieuse, quant à elle, implique une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat sans dommage pour l’entreprise. Dès lors, le licenciement ne peut sanctionner un simple désaccord ou une insuffisance mineure : il doit être justifié par des éléments concrets et proportionnés.

La Cour de cassation veille à ce que ces deux critères soient respectés. Elle a par ailleurs rappelé, dans un arrêt du 31 janvier 2024, que la lettre de licenciement doit « énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables ».

À retenir :
« Réelle » = les faits existent et peuvent être démontrés.
« Sérieuse » = leur gravité justifie la rupture du contrat.

Ces deux conditions protègent les salariés contre les décisions impulsives et garantissent que le licenciement reste l’ultime recours.

L’absence de cause réelle et sérieuse : le licenciement abusif 

En pratique, lorsque la rupture du contrat ne répond pas à ces deux critères, il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, appelé plus communément licenciement abusif.

Conformément à l’article L1235-3 du Code du travail, le juge peut alors proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Mais si l’employeur ou le salarié refuse cette réintégration — ce qui est le cas dans la majorité des situations —, le juge accorde une indemnité réparatrice, calculée selon le barème d’indemnisation dit « Macron », proportionnel à l’ancienneté du salarié et à la taille de l’entreprise.

Le licenciement pour motif personnel : une gradation y compris dans les conséquences pour le salarié 

Le licenciement pour motif personnel connaît trois niveaux mais dans tous les cas la preuve de la cause réelle et sérieuse s’impose, ainsi que le paiement de l’indemnité de congés payés et l’accès à France Travail.

Le licenciement pour motif économique n’est pas fondé sur un comportement fautif, mais sur des motifs non inhérents à la personne du salarié : difficultés économiques, mutations technologiques, réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, etc. Il doit, lui aussi, reposer sur une cause réelle et sérieuse, mais ouvre droit à des indemnités de licenciement et de préavis, ainsi qu’à des mesures spécifiques d’accompagnement (priorité de réembauche, CSP – contrat de sécurisation professionnelle – , plan de sauvegarde de l’emploi selon les cas).

L’appréciation de la cause réelle et sérieuse par le juge

Le contrôle du juge prud’homal est à la fois factuel et contextuel. Il vérifie la matérialité des faits invoqués et leur adéquation avec la décision de rupture. La preuve doit être concrète : un licenciement ne peut se fonder sur des impressions ou des rumeurs.

Pour le licenciement pour motif personnel, le juge apprécie ensuite la proportionnalité entre les faits établis et la décision de licencier.
Un fait réel n’est pas toujours suffisant pour justifier une rupture : il doit avoir une gravité ou une incidence telles qu’elles rendent impossible la poursuite du contrat.
L’appréciation tient compte du poste occupé, de l’ancienneté, des antécédents et du contexte global de la relation de travail.

Bon à savoir :
La lettre de licenciement fixe les limites du litige. Tout motif non mentionné est inopposable devant le juge.

La cause réelle et sérieuse : une notion en mouvement

Ces dernières années, la jurisprudence a confirmé que la cause réelle et sérieuse n’est pas une formule figée, mais une notion vivante qui s’adapte aux transformations du monde du travail. Trois grandes tendances se dégagent.

L’insuffisance professionnelle : accompagner avant de sanctionner

Dans un arrêt du 17 janvier 2024, la Cour de cassation a rappelé que l’insuffisance de résultats ne constitue pas, en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En effet, pour être légitime, la rupture doit reposer sur une insuffisance professionnelle caractérisée, c’est-à-dire une inaptitude durable du salarié à remplir les missions confiées, malgré les moyens d’accompagnement mis en place par l’employeur.

Aussi, ce dernier doit pouvoir démontrer qu’il a proposé des formations adaptées, fixé des objectifs réalistes et accompagné le salarié par des évaluations régulières avant d’envisager la rupture.

À défaut, le licenciement est considéré comme prématuré et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

À retenir :
On ne sanctionne pas une faiblesse isolée, on évalue un contexte professionnel.

Les absences pour maladie : entre désorganisation et protection de la santé

Les absences, même prolongées, ne suffisent pas à justifier un licenciement.
Pour qu’elles constituent une cause réelle et sérieuse, la Cour de cassation exige la réunion de deux conditions cumulatives :

Dans un arrêt du 6 juillet 2022, la Haute juridiction a ainsi censuré un licenciement fondé sur la seule perturbation d’un service : en effet, la désorganisation invoquée ne concernait pas l’entreprise dans son ensemble.

En pratique, les juges examinent la taille de la structure, la durée de l’absence, le rôle du salarié et les mesures de réorganisation tentées avant le licenciement.


Le droit cherche ici un équilibre : préserver la continuité de l’activité économique sans faire de la santé un motif de rupture déguisé.

À retenir :
La preuve de la désorganisation doit concerner l’ensemble de l’entreprise, pas un service isolé.L’employeur doit démontrer la nécessité du remplacement définitif.Ce double critère protège à la fois le fonctionnement collectif et la dignité individuelle du salarié en arrêt.

La proportionnalité du licenciement : un contrôle renforcé du juge

La Cour de cassation poursuit le mouvement entamé depuis plusieurs années : la cause réelle et sérieuse ne se réduit pas à la réalité du fait reproché, elle suppose aussi que la sanction soit proportionnée à la gravité de ce fait.
Autrement dit, un manquement avéré ne suffit plus : il faut encore qu’il rende légitime la rupture du contrat.

Dans un arrêt du 29 mai 2024, la chambre sociale a ainsi validé le licenciement d’un salarié cadre qui avait dissimulé à son employeur une relation intime avec une collègue placée sous sa responsabilité hiérarchique.

Les juges du fond avaient estimé que cette dissimulation caractérisait une atteinte à l’obligation de loyauté et compromettait la confiance nécessaire à la poursuite du contrat. La Cour de cassation confirme : le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, proportionnée à la gravité du manquement.

Mais cette exigence de proportionnalité ne joue pas qu’à charge.
Les juridictions prud’homales l’utilisent aussi pour écarter les ruptures excessives, lorsque la sanction paraît sans rapport avec le comportement du salarié.

Ainsi, un licenciement pour faute, fondé sur un simple différend d’opinion ou un écart ponctuel de conduite, peut être jugé disproportionné et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

De même, au nom de la proportionnalité, le juge peut disqualifier un licenciement pour faute grave ou lourde en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur au rappel des sommes dues qui n’avaient pas été versées.

À retenir :
La proportionnalité est devenue le pivot de l’analyse du juge. Elle réintroduit une dimension d’équité : un licenciement n’est pas seulement factuellement fondé, il doit être mesuré, cohérent avec les fonctions exercées et les circonstances.

Ces évolutions confirment une tendance de fond : les juges ne se contentent plus de vérifier la réalité des faits. Ils examinent désormais la cohérence du motif, la proportionnalité de la sanction et la loyauté du processus.

Vigilance et leviers d’action : le regard ATLANTES

Derrière chaque licenciement, il y a plus qu’une procédure : il y a une histoire de travail, des échanges, un contexte humain.

La cause réelle et sérieuse n’est pas seulement une condition légale.
Elle trace une frontière essentielle entre autorité et justice sociale, entre pouvoir de direction et respect des personnes.

Représentants du personnel : prévenir et documenter

Le rôle du CSE est déterminant pour repérer les licenciements discutables : objectifs inatteignables, réorganisations déguisées, manques de justification…

La clé, c’est la traçabilité : conserver les échanges, les évaluations, les alertes permet de garantir la transparence et d’assurer la défense des salariés.

La vigilance n’est pas de la méfiance : c’est la condition du respect du droit.

Salariés : comprendre ses droits pour agir

Connaître les règles du licenciement, c’est déjà se protéger.

Un salarié bien informé peut anticiper, dialoguer ou contester une rupture injustifiée.

La connaissance du droit transforme une situation subie en action maîtrisée, et replace chacun dans une posture d’acteur.

Acteurs collectifs : faire vivre le droit du travail

La jurisprudence n’est pas qu’un outil de contentieux : elle inspire les pratiques, éclaire les négociations et alimente la prévention.

Mais la défense des salariés se construit autant dans l’entreprise — par la formation, la transmission, l’accompagnement — que devant les juridictions, lorsque le dialogue a échoué.En résumé : anticiper, documenter et dialoguer.
Trois mots qui résument la philosophie ATLANTES : faire du droit du travail un outil d’équilibre et non de rupture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 × trois =