Une fois n’est pas coutume, la raison d’Etat et la raison économique font corps pour défendre leurs intérêts au détriment des salariés.
Un décret du 23 novembre 2023, publié au JO du 24, précise que :
« Du 18 juillet 2024 au 14 août 2024, le repos hebdomadaire peut être suspendu …/… dans les établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail pour les besoins de la captation, de la transmission, de la diffusion et de la retransmission des compétitions organisées dans le cadre des Jeux Olympiques de 2024 ainsi que pour assurer les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l’organisation et au déroulement des Jeux Olympiques.
Un repos compensateur au moins égal à la durée du repos suspendu est accordé aux salariés concernés immédiatement après la période mentionnée ci-dessus ».
En pleine période de vacances scolaires, les parents isolés apprécieront !
Les bénéficiaires d’un accord collectif sur l’articulation entre vie privée et vie professionnelle seront en quête de sens pour savoir où placer le curseur entre les deux.
Les analystes aguerris partageront avec nous la lecture qu’ils pourront faire de la formule particulièrement énigmatique : « surcroît extraordinaire de travail ».
Les salariés concernés seront en reste quant à l’inexistence de compensations autres que celles déjà prévues dans le Code du travail, et l’absence d’invitation faite aux partenaires sociaux à négocier des compensations supplémentaires. Fin du dialogue social vertueux. Bienvenue au 49.3 social. Un de plus !
Nous savons tous que l’intensification du travail porte en elle la souffrance, comme la nuée porte l’orage. Malgré les très nombreux écrits ou rapports sur la santé au travail, rien n’arrête manifestement les nouveaux fossoyeurs du modèle social. Travailler plus vite, plus longtemps, plus souvent. Tel est le nouveau crédo de ce courant néfaste dont l’obsession maladive reste la politique du chiffre, l’amélioration de la performance économique et de la croissance.
Les travailleurs de nuit, les femmes subissant les inégalités salariales, les travailleurs sans papier et sans droits, constitueront encore et pour longtemps, cette armée de l’ombre, qui faute de pouvoir s’offrir pour les JO des places vendues à des tarifs exorbitants, devront se contenter d’aller sucer des glaces à l’eau en ayant sans doute le cœur gros*.
Olivier CADIC
Directeur Juridique
*Les vacances au bord de la mer, Michel Jonasz.
De nombreuses études scientifiques ont révélé la dangerosité du travail de nuit pour la santé des travailleurs. Le travail de nuit peut être à l’origine de nombreux troubles impactant la santé (sommeil ; alimentation1) et contribuer à certains accidents de la circulation ou erreurs de travail2. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la loi prévoit un aménagement spécifique pour les femmes enceintes3.
Plusieurs études scientifiques relèvent une corrélation entre le travail de nuit et certains cancers. Une étude menée par les chercheurs de l’INSERM montre que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes ayant travaillé de nuit.4
Pour rappel, le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Les facteurs de risque attachés à cette pathologie sont variés, certains sont clairement identifiés comme les mutations génétiques, un âge tardif à la première grossesse, d’autres sont liés au style de vie.
Cette étude réalisée en France a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.
Les résultats sont sans appel, le risque de cancer du sein était augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes. Cette augmentation était encore plus marquée pour les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou pour celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, impliquant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de nuit.
Plusieurs hypothèses ont été avancées par les chercheurs pour expliquer le lien entre le travail de nuit et le cancer du sein. L’exposition à la lumière durant la nuit supprimerait le pic nocturne de mélatonine, substance naturelle permettant de lutter contre le développement des cellules cancérigènes. Une deuxième hypothèse est relative à la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire. La troisième hypothèse concerne les troubles du sommeil qui pourraient affaiblir le système immunitaire, rendant les personnes plus vulnérables.
Le directeur de recherche souligne le problème de la prise en compte du travail de nuit dans une politique de santé publique et rappelle à ce titre que le nombre de femmes travaillant avec des horaires atypiques est en augmentation ce qui appelle à s’interroger sur l’intervention des pouvoirs publics sur la question.
Selon une étude publiée dans l’American Journal of Epidemiology en 2012, les travailleurs de nuit auraient trois fois plus de risque que les autres d’avoir un cancer de la prostate et deux fois plus d’avoir un cancer du côlon.5
De la même manière, ils sont 76% plus susceptibles d’être atteints d’un cancer du poumon ou d’un cancer de la vessie. En ce qui concerne les cancers de la prostate, du côlon et de la vessie, les risques sont plus élevés pour les hommes qui ont travaillé au moins 10 ans de nuit.
Le Centre International de Recherche sur le Cancer (Circ) avait classé en 2007 le travail de nuit dans le groupe des cancérogènes probables pour l’homme (catégorie 2A) et a réaffirmé cette classification en 2019. Les cancers concernés sont : sein, prostate et colon/rectum. Ce n’est donc pas une nouveauté.
Pourtant, la loi ne prévoit toujours pas de réel dispositif pour protéger, accompagner et indemniser les travailleurs de nuit qui auraient des problèmes de santé avérés.
D’un point de vue collectif, la loi confie aux partenaires sociaux le soin de négocier un accord d’entreprise ou de groupe relatif à la prévention de la pénibilité au travail. C’est sans compter sur le fait que tous les travailleurs de nuit n’entrent pas dans le dispositif de pénibilité, il s’agit seulement des salariés exposés au-delà des seuils fixés, à savoir 120 nuits par an pour les heures effectuées entre 00h et 5h6.
En théorie, les points cumulés sur le compte pénibilité permettent aux salariés concernés de se former à un emploi moins exposé, de gagner plus ou de partir plus tôt à la retraite.
En réalité, la seule possibilité pour un travailleur de nuit de faire reconnaître le lien entre ses problèmes de santé et le travail de nuit est de produire une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Une procédure, qui, rappelons-le, est longue et incertaine et oblige à accomplir de nombreuses démarches administratives et médicales.
D’un point de vue individuel, la loi prévoit un suivi médical « renforcé7 » pour les travailleurs de nuit, mais la périodicité de ce suivi est fixée arbitrairement par le médecin du travail8, sans pouvoir toutefois excéder trois ans9.
En premier lieu, il appartient aux délégués syndicaux de se questionner sur la place (pourquoi ?) et les modalités de recours (qui ? comment ?) et de mise en place au travail de nuit lors de la négociation d’un accord sur le sujet, que ce soit à propos de sa mise en place ou de son extension à de nouvelles catégories de salariés10.
En second lieu, dans le cadre de la consultation récurrente du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, l’employeur devra présenter aux élus un bilan sur le travail de nuit11. À cette occasion, les élus du CSE pourront donc questionner l’employeur et le médecin du travail, communiquer auprès des salariés pour recueillir des témoignages (ex : déclaration de maladie professionnelle en cours) ou besoins (ex : aménagements d’horaire sur avis médical).
Enfin, le CSE, avec l’aide des délégués syndicaux, peut négocier avec l’employeur des autorisations d’absences rémunérées pour inciter les salariés à effectuer des dépistages plus fréquemment et ainsi participer à la prévention des risques professionnels, conformément à ses missions.
Alison VILLIERS
Juriste / Atlantes Nantes-Grand Ouest
1 - Greg Belenky, MD, director of the Sleep and Performance Research Center at Washington State University Spokane.
2 - Barger et al., 2005, USA, Cohorte prospective/Scott et al., 2007, USA, Cohorte prospective/ Lockley et al., 2004, USA, Etude comparative.
3 - Ouvrage de l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents sur la grossesse au travail publié en 2010.
4 - « CECILE », étude épidémiologique, publiée en juin 2012, Pascal Guénel, Institut National de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
5 Etude épidémiologique, menée par Marie-Élise Parent, Mariam El-Zein et Marie-Claude Rousseau du Centre INRS–Institut Armand-Frappier ;
Javier Pintos et Jack Siemiatycki du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
6 - C. trav., art D. 4161-2.
7 - C. trav., art. L. 3122-11, C. trav., art. R. 3122-11.
8 - C. trav., art. L. 4624-1.
9 - C. trav., art. R. 4624-17.
10 - C. trav., art. L. 3122-15.
11 - C. trav., art. L. 2312-27.
Le CSE joue un rôle de vigie du respect du droit du travail dans l’entreprise mais également d’intermédiaire entre le « terrain » et la direction à travers ses prérogatives en matière de consultation et de recours à l’expert. Ces deux leviers sont à mettre au service de l’égalité professionnelle dans l’entreprise.
Le droit du travail prévoit deux outils pour surveiller l’état de l’égalité professionnelle dans l’entreprise.
Le premier outil renvoie à l’Index égalité.* Instauré en 2019, l’Index égalité vise à mesurer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes et à rendre visible les progressions à réaliser en la matière. Cet Index évalue sur 100 points le niveau d’égalité entre les femmes et les hommes à partir des critères prévus par le Code du travail1.
En outre, en matière de représentation aux postes de direction, les entreprises d’au moins 1000 salariés devaient publier avant le 1er mars 2024 les proportions de femmes et d’hommes au sein des cadres dirigeants et des instances dirigeantes2.
Dans le cas où le résultat de l’index est inférieur à 75/100, l’entreprise doit adopter et publier des mesures de correction et de rattrapage.
Ces mesures, annuelles ou pluriannuelles, et ces objectifs doivent être définis par la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur après consultation du CSE.
Le second outil renvoie à l’information/consultation obligatoire et récurrente sur la “politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi”3 qui porte en partie sur l’égalité professionnelle.
Pour formuler un avis sur cette consultation, le CSE peut accéder à des informations spécifiques en matière d’égalité professionnelle4.
Afin d’analyser ces éléments, le CSE a la possibilité d’avoir recours à un expert dont les frais sont pris en charge à 100% par l’employeur5. Dans ce cas, la mission de l’expert-comptable porte sur “tous les éléments d’ordre économique, financier, social ou environnemental nécessaires à la compréhension de la politique sociale de l’entreprise, des conditions de travail et de l’emploi”6.
Informé, suivi par un expert et consulté, le CSE joue un rôle de contrôle récurrent de la situation et des avancées de l’entreprise en matière d’égalité.
*Obligatoire depuis le 1er mars 2024 dans toutes les structures de 50 salariés et plus.
Le Code du travail prévoit la possibilité pour le CSE des entreprises d’au moins 300 salariés d’avoir recours à un expert habilité “en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle”7.
En tout état de cause, il s’agit là d’un outil original : le CSE a recours à un expert pour apporter toute analyse utile aux organisations syndicales en charge de la négociation. Le Code du travail distingue entre deux modes de prise en charge (L.2315-80) :
Dans le cas où il n’y aurait aucun indicateur relatif à l’égalité professionnelle au sein de la Base de Données Économiques Sociales et Environnementales (BDESE).
Aux élus de vérifier l’existence ou non d’un indicateur car la modalité de prise en charge en dépend.
ATTENTION : l’expertise doit uniquement porter sur le thème de l’égalité professionnelle.
En cas de contestation, le juge devra impérativement vérifier la présence ou non d’un tel indicateur8.
Dans sa décision du 14 avril 2021, la Cour de cassation précise deux enjeux à respecter dans ce cas de recours à l’expert.
Tout d’abord, la Cour précise que “la désignation de l’expert doit être faite en un temps utile à la négociation” mais “peut être ordonnée quand bien même la négociation a commencé à être engagée” (notamment si le CSE a été renouvelé après l’ouverture des négociations comme c’est le cas dans cette affaire).
Ensuite, la Cour rappelle que cette expertise “ne peut être étendue à d’autres champs de négociation”.
Les élus du CSE doivent donc impérativement circonscrire la mission de l’expert au thème de l’égalité professionnelle, pour éviter notamment des litiges sur les frais d’expertise dont une partie, voire l’intégralité, est prise en charge par l’employeur.
Arthur MOREAU
Juriste / Atlantes Paris-Ile de France
Les dispositions relatives à l’interdiction, la prévention et la répression du harcèlement sexuel et des agissements sexistes figurent parmi les mentions obligatoires du règlement intérieur de chaque entreprise.
Force est de constater que, dans bien des cas, les clauses de ce document portant sur ces thématiques s’apparentent, ni plus, ni moins, à une énumération d’articles plutôt qu’à une mise en lumière de réelles procédures internes permettant de régler ces situations avec pertinence et efficacité.
Les élus ont donc pleinement leur rôle à jouer que ce soit lors de la consultation du CSE sur ce document ou tout au long de leur mandat.
La CSSCT (lorsqu’elle existe) se voit confier tout ou partie des attributions du comité relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, à l’exception du recours à un expert et des attributions consultatives du CSE1. Elle peut constituer un élément moteur pour s’approprier ces sujets.
La désignation d’un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes parmi les membres du CSE est obligatoire2 dans toutes les structures de 50 salariés et plus. Toutefois, son rôle et ses missions ne sont pas précisés. Si ce flou juridique rend la fonction complexe à appréhender, il est possible aux CSE de le doter de multiples prérogatives :
Le rôle de ce référent harcèlement sera à appréhender de manière encore plus attentive dans les entreprises de moins de 250 salariés, le législateur n’ayant pas jugé opportun d’imposer la mise en place d’un référent côté direction dans les entreprises n’atteignant pas cet effectif.
Certaines directions informées d’une potentielle situation de harcèlement sexuel et/ou d’agissements sexistes préfèrent (sans doute par crainte qu’une situation de harcèlement s’avère caractérisée et, par voie de conséquence, un manquement à leur obligation de santé et de sécurité) écarter les élus de l’enquête diligentée.
Face à de telles situations, le droit d’alerte pour atteinte aux droits des personnes3 s’avère être un outil efficace permettant de rééquilibrer les rapports. En effet, cette procédure permet à l’élu, à l’initiative de l’alerte, de signaler une situation de harcèlement et de contraindre l’employeur à diligenter une enquête conjointe.
L’élu (qui peut, par soucis de cohérence, être le référent harcèlement) pourra ainsi entendre les différentes parties prenantes (auteur présumé, victime présumée, témoins…) et travailler de concert avec la direction, à la résolution de la situation.
Il est nécessaire de noter que les situations de harcèlement sexuel et agissements sexistes ne doivent pas être gérées uniquement lorsqu’un salarié estime avoir été victime du comportement d’un ou de plusieurs collègues de travail, mais de garder à l’esprit que ce sujet mérite une attention particulière de tous les instants passant par :
Ce sujet ne peut plus être glissé sous le tapis au prétexte que cela ne concernerait que quelques individus égarés. Ne pas s’en soucier, c’est quelque part se rendre complice des méfaits d’éventuels prédateurs.
Manon Gille,
Juriste / Atlantes Lyon-AURA
Le 15 février dernier, 5 parlementaires1, publiaient un rapport comprenant « 14 mesures pour simplifier la vie de nos entreprises et rendre des heures aux Français »
Considérer que la présence de représentants du personnel dans les entreprises de 50 à 250 salariés doit être mise sur le même plan que le « fardeau administratif dont souffrent les entreprises », résulte d’un raisonnement irrationnel et infondé qui ne prend pas en compte la vigueur du dialogue social dans les PME PMI. C’est à tout le moins présenter une vision hors sol et caricaturale de la démocratie sociale.
Réduire à nouveau la présence des représentants du personnel résulte d’une volonté d’invisibilisation manifeste et assumée :
Les CSE et les salariés, ne doivent pas devenir les victimes collatérales de l’exaspération des employeurs liée à l’excès de normes produites par la puissance Publique, sauf à désigner ceux-ci comme les éternels boucs émissaires de tous les maux de l’entreprise et militer pour la disparition définitive des CSE.
Supprimer les CSE c’est renoncer à dialoguer et ne plus permettre aux salariés de comprendre et d’adhérer au projet de l’entreprise. Ce grand bond en arrière donnera toute sa force à la formule utilisée par Jean Auroux il y a plus de 40 ans évoquant l’entreprise comme le lieu du bruit des machines et du silence des hommes.
À vouloir tuer la démocratie sociale, viendra le temps où c’est la démocratie qui se retrouvera en danger.
Or, on ne joue pas aux apprentis sorciers avec les fondements de celle-ci pour répondre à des aspirations purement électoralistes.
Un projet de loi sera présenté en mars au Parlement pour une adoption définitive avant l’été. Nous vous invitons à suivre les différentes étapes de construction de ce texte et ne pas hésiter à saisir votre député (e) en vous rendant à sa permanence ou directement par mail
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/vos-deputes.
Nous prendrons le soin de consacrer nos prochains numéros au suivi de ce projet.
Olivier CADIC
Directeur Juridique
Alexis Izard Député Renaissance de l’Essonne Alexis.izard@assemblee-nationale.fr
Philippe Bolo Député Modem du Maine-et-Loire Philippe.bolo@assemblee-nationale.fr
Anne-Cécile Violland Députée Horizons de Haute-Savoie Anne-cecile.violland@assemblee-nationale.fr
Nadège Havet Sénatrice RDPI du Finistère n.havet@senat.fr
Pour ce numéro, nous vous présentons deux livres qui entrent en résonance. D’abord parce qu’ils se déroulent tous deux en Bretagne, dans l’entre-deux guerres. Ensuite parce que les récits se croisent. Enfin parce qu’ils évoquent des événements qui nécessairement nous parlent à tous !
Édition Libertaria
Anne Grignon raconte dans ce récit la grève des sardinières qui a mobilisé Douarnenez du 20 novembre 1924 au 6 janvier 1925.
Il y a 100 ans, à Douarnenez, 2000 de celles qu’on appelle les « filles d’usine » entrent en grève. Elles travaillent nuit et jour, dans les vingt conserveries de sardines de la ville à mettre en boîte au plus vite le poisson fragile fraîchement pêché.
Elles sont à leur poste entre dix et quatorze heures d’affilée pour une paie plus que réduite versée par des industriels dont même le ministre du Travail dit qu’ils sont « des brutes et des sauvages ». Le premier livre du code du travail a été promulgué en 1910, la loi qui fixe à 8 heures la journée d’usine en 1919, mais « à Douarnenez, ce n’est pas compliqué, on fait comme si ça n’existait pas ».
Ce récit relate cette grève des « Penn Sardin », perdue d’avance pour certains, tant leurs conditions de vie étaient suspendues à leur paie ; mais qui après plus de six semaines à battre le pavé obtiennent gain de cause.
Que voulaient-elles ? De meilleures conditions de travail et une hausse de salaire : « Pemp real a vo ! », « ce sera 1,25 franc ! ». Le 6 janvier le patronat cède, le salaire des ouvrières passe à 1 franc, appuyé par un élan national, notamment après que les propriétaires des usines ont fait venir de Paris des briseurs de grève qui tentent le 1er janvier, d’assassiner le Maire communiste de la ville Daniel Le Flanchec, fidèle soutien des grévistes, ce qui déclenchera des émeutes et contraindra aussi les employeurs à céder.
Cette enquête historique illustre le combat de ces femmes de peu. Elle illustre aussi l’importance de la solidarité, ciment de leur combat. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’on croise dans ce récit la CGTU (confédération du travail unitaire), ou des figures comme celles de Daniel Le Flanchec, maire de Douarnenez assassiné en 1944 à Buchenwald, de Joséphine Pencalet, qui participa à la grève et fut en 1925 la première femme élue conseillère municipale (élection invalidée par le Conseil d’État en novembre 1925, une femme ne pouvant être élue ! ) ou encore Marcel Cachin, parlementaire et directeur du journal L’Humanité de 1918 à 1958.
Édition Grasset
Ce roman, tiré de faits réels, se déroule dix ans après la grève des sardinières de Douarnenez. Dans la nuit du 27 août 1934 à Belle-Île en mer, 56 détenus du centre d’éducation surveillée de
Haute-Boulogne se révoltent et s’échappent. Ils sont rattrapés par les gendarmes et retournés au centre sauf un, Jules Bonnot, dit la Teigne, principal personnage du livre.
Ce récit glaçant est d’abord celui de la souffrance et de la douleur de ces enfants (travail harassant, brimades, humiliations, violence physique et psychique quotidiennes, viols et violences sexuelles…) envoyés dans ce centre car auteurs d’infractions ou simplement abandonnés ou orphelins.
C’est aussi l’histoire de la Teigne, enfant plein de rage, de violence, asséché de tant de souffrance, incapable de confiance. Et puis c’est l’histoire de ceux qui l’accueillent malgré tout, un marin pêcheur, son épouse, l’équipage du bateau… et qui lui redonnent un espoir, la Teigne pouvant redevenir Jules.
Au-delà de la Bretagne et d’une époque commune, « Une belle grève de femmes » et « L’enragé », ont en commun d’être des récits de fraternité, d’engagement et de générosité qui portent une humanité exemplaire.
D’ailleurs, parmi l’équipage qui accueille Jules Bonnot, l’un des marins-pêcheurs raconte sa participation, 10 ans auparavant, à la belle grève des Penn Sardin de Douranenez…
Pour poursuivre :
Podcast « La Grande grève » sur France Culture – Samedi 9 mars 2024 (31 minutes) :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere/la-grande-greve-de-1924-2631990
L’actualité du droit du travail et de ses évolutions… du bout des doigts.
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