Une nouvelle loi sur la formation professionnelle !
Au fil des lois et des ans, les gouvernements successifs se sont tous « évertués » à transférer au privé ce qui devrait relever d’un devoir d’Etat.
Le volet Formation Professionnelle de la loi du 5 septembre 2018 est caractérisé par 2 marqueurs idéologiques forts : l’individualisation et la libéralisation.
Pour preuves :
Par leur intermédiaire, le monde de l’entreprise prend ainsi le contrôle de l’ensemble des leviers de la formation en alternance - contrat de professionnalisation et contrat d’apprentissage.
Autre signe des temps : les critères pour être agréé OPCO tels que fixés par la loi :
Et le législateur a introduit des procédures d’évaluation et de recours en cas de défaillance des futurs opérateurs de compétences. Ces derniers signeront une convention d’objectifs et de moyens avec l’État et devront délivrer des résultats. En cas de dysfonctionnement répété ou de non-respect des délais de paiement, un administrateur provisoire pourra être nommé…
« La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », cet intitulé doit à tous coups laisser dubitatifs les salariés des 20 OPCA - et futurs 11 OPCO - (qui vont devoir développer de nouvelles compétences au regard des nouvelles missions dévolues) et de l’AFPA sur lequel vient d’être annoncé un PSE emportant potentiellement la suppression de 1 995 postes !
Evelyn BLEDNIAK, Avocat Associée
La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qualifiée de « texte anti-fatalité » par Emmanuel Macron, emporte, avec la formation, plusieurs réformes telles que celle de l’assurance-chômage, de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, de l’égalité entre les hommes et les femmes, et de l’apprentissage que nous étudierons dans nos prochains numéros.
Ce premier chapitre contient de nombreuses mesures qui réorganisent, quatre ans après la dernière réforme sur le sujet (loi Formation du 5 mars 2014), la formation professionnelle.
Les droits inscrits sur le CPF seront comptabilisés dès le 1er janvier 2019 en euro et non plus en heures de formation.
Pour rappel, les salariés à temps plein acquièrent aujourd’hui 24 h par an jusque 120 h, puis 12 h jusqu’à un plafond de 150 heures.
Le CPF des salariés restera alimenté chaque année dans la limite d’un plafond.
Ces plafonds seront fixés par un décret en Conseil d’Etat, non paru au jour où nous écrivons ces lignes. D’après le projet de loi, l’alimentation du CPF se ferait :
A noter : un accord collectif d’entreprise ou de groupe ou, à défaut, un accord de branche pourra prévoir des modalités plus favorables d’alimentation du CPF.
Les salariés à temps partiel dont la durée du travail est supérieure à un mi-temps verront leurs droits alignés sur ceux des salariés à temps plein. Le calcul se fait sur la durée légale ou conventionnelle du travail appréciée sur l’année.
Pour les autres temps partiels, la proratisation demeure la règle.
Le salarié souhaitant suivre une formation du CPF devra simplement demander une autorisation d’absence à l’employeur. Ce dernier notifiera sa réponse dans des délais déterminés par décret, son silence valant acceptation. La nouveauté est que l’accord de l’employeur sur le contenu de la formation n’est plus requis.
Pour rappel, heures effectuées pendant le temps de travail constituent un temps de travail effectif et donne lieu au maintien de la rémunération du salarié.
À compter du 1er janvier 2019, le CPF deviendra le seul outil de formation à l’initiative du salarié. Jusqu’alors, ce dernier pouvait mobiliser à son initiative le CPF mais également dans le cadre du congé individuel de formation (CIF).
Le CPF pourra être mobilisé dans le cadre d’un projet de transition professionnelle (PTP). Le salarié pourra mobiliser les droits inscrits sur son CPF pour financer une action de formation certifiante, destinée à lui permettre de changer de métier ou de profession dans le cadre d’un projet de transition.
Contrairement au plan de formation, le plan de développement des compétences n’a plus à être construit par catégorie d’actions de formation (adaptation au poste de travail ou actions de développement de compétences).
Une formation non obligatoire suivie hors temps de travail ne donnera pas droit au maintien de la rémunération. Par ailleurs, les allocations de formation (50% du salaire net), qui sont aujourd’hui versées aux salariés suivant une formation de développement des compétences, n’existeront plus.
Le plan de développement des compétences devra dorénavant être intégrée à la consultation annuelle du CSE sur les orientations stratégiques, qui porte notamment sur les orientations de la formation professionnelle.
Destiné à envisager les perspectives d’évolution professionnelle du salarié, il demeure un rendez-vous obligatoire, organisé tous les 2 ans.
Il ne faut pas confondre l’entretien professionnel avec l’entretien annuel d’évaluation qui peut être mis en place dans l’entreprise dont l’objet est différent. Il est toutefois fréquent de voir les perspectives d’évolution professionnelle traitées lors de cet entretien. N’hésitez pas à échanger dans le cadre des instances sur le déroulé ou le support de ces entretiens.
Pour rappel, tous les six ans, cette rencontre avec l’employeur sert à faire un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié en s’assurant qu’il a :
Toutefois, la loi permet désormais qu’un accord puisse définir une périodicité des entretiens professionnels autre que la loi. Ce rendez-vous pourra devenir annuel, voire être organisé tous les trois ans, dès lors que l’état des lieux tous les six ans est maintenu.
De plus, l’accord d’entreprise ou, à défaut, de branche pourra prévoir d’autres modalités d’appréciation du parcours professionnel que les trois mesures analysées en entretien de bilan.
Il pourra également définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d’abondement par l’employeur du compte personnel de formation des salariés.
En plus d’une information sur la validation des acquis de l’expérience (VAE) devront désormais être transmises les informations suivantes :
A noter : le texte n’apporte pas plus de précisions sur le sujet. la nature de ces informations pourrait être précisée par voie d’accord.
Le CSE aura à sa disposition des informations sur la mise en œuvre des entretiens professionnels, dans le cadre de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.
En cas de reprise de poste, l’entretien obligatoirement proposé pourra avoir lieu avant la reprise de poste dès lors que le salarié en fait la demande. Cet entretien est proposé pour les reprises suivantes : congé de maternité, congé parental d’éducation, congé sabbatique, longue maladie. Il est également proposé après certaines périodes : mobilité volontaire sécurisée, temps partiel, mandat syndical, etc.
Anissa CHAGHAL, Juriste
Lorsqu’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire met en œuvre un PSE, la loi prévoit certaines dérogations par rapport à la procédure applicable aux entreprises dites « in bonis » (c’est-à-dire qui ne sont pas en cessation des paiements) parmi lesquelles l’on trouve :
En revanche aucune dérogation n’est prévue quant au droit du CE/CSE d’avoir recours à l’assistance d’un expert dans le cadre de la procédure.
Nous sommes donc face à une incohérence : comment mettre en œuvre le droit à expertise si l’on ne dispose que d’une seule réunion ?
En pratique, il est d’usage de suspendre cette réunion et de la poursuivre une fois que l’expert aura pu mener sa mission, mais les administrateurs judiciaires ne sont pas tous soucieux de respecter les bonnes pratiques….
Le Comité d’entreprise de la Société BOIS DEBOUT (société de plantation de banane située en Guadeloupe) en a fait l’amère expérience.
Réunis pour donner un avis sur le projet de PSE, ce dernier a procédé à la désignation d’un expert conformément à l’article L.2325-35 du Code du travail, mais cela n’a pas empêché l’administrateur judiciaire d’aller déposer le jour même le document unilatéral au DIECCTE (DIRECCTE de Guadeloupe) empêchant ainsi le CE d’avoir effectivement recours à son expert.
La procédure était donc viciée.
Le DIECCTE a pourtant homologué le PSE, alors même qu’il se devait d’être le garant du bon déroulement de la procédure d’information/consultation, obligeant ainsi le CE et la Confédération générale du travail de Guadeloupe à saisir le tribunal administratif.
Le recours à l’expertise est un droit.
Ce droit a pour objet d’aider le comité d’entreprise à se prononcer de façon éclairée sur le projet de PSE qui lui est soumis. S’il ne peut être mis en œuvre, la régularité de la procédure d’information/consultation s’en trouve indéniablement entachée.
Naturellement, cette dérogation au nombre de réunions ne permet pas de mettre en œuvre ce droit, et c’est ce qu’avait déjà jugé la cour de cassation (notamment, voir Cass. Soc 7 juillet 1998n°96-21.295) en décidant que dès lors que s’il ne devait y avoir qu’une seule réunion, la désignation de l’expert s’en trouverait purement et simplement privée d’effet.
Depuis la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, c’est le Tribunal Administratif qui est compétent pour se prononcer sur la décision administrative qui valide ou homologue le PSE.
C’est ainsi que le comité d’entreprise et la CGTG ont saisi le Tribunal Administratif de la Guadeloupe lequel a conclu, contre tout attente, à la validation de la décision du DIECCTE.
Un recours a été formé devant la Cour Administrative d’appel de BORDEAUX qui a annulé la décision d’homologation en considérant que la procédure avait été effectivement viciée.
Cette décision est très importante car, au-delà du principe qu’elle forge concernant la procédure de PSE, elle permet de rappeler que le Droit Social s’applique même lorsque l’entreprise se trouve en procédure collective.
Dans un contexte de procédure collective (redressement ou liquidation), les droits des instances ont souvent tendance à être « oubliés », souvent parce qu’il faut aller vite, que ce qui compte c’est la reprise de la société et le sort des créanciers…
Or, ces droits existent et doivent être respectés parce qu’au travers de ces obligations, c’est la sauvegarde des droits des travailleurs qui est en jeu (respect des catégories professionnelles, des critères d’ordre, égalité de traitement entre les salariés, adaptation des mesures à la population concernée…)
Dans le cadre d’une procédure de PSE, la DIRECCTE doit être garante du respect par l’administrateur judiciaire des procédures d’information/consultation. Mais, force est de constater que ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
A cet égard, l’exemple du CE de la société Bois Debout est symptomatique, mais la Cour Administrative d’appel de Bordeaux ne s’y est pas trompée : elle a annulé la décision d’homologation du PSE, avec pour conséquence la possibilité pour les salariés de saisir le Conseil de Prud’homme pour demander la condamnation de la société à verser à chaque salarié une indemnité minimale de 6 mois de salaire.
Toute chose qui aurait pu être évitée si les acteurs de la procédure avaient eu à cœur de respecter le CE…
> Arrêt de la Cour Administrative d’appel de Bordeaux N° 18BX02854 du 17 octobre 2018
Elisabeth REPESSE, Avocate
Depuis dix ans et sensiblement depuis la loi Rebsamen, le Législateur a à cœur de « valoriser les parcours syndicaux ». Toutefois, les bonnes intentions contrastent avec la portée concrète des mesures édictées, quand elles n’entrent pas en contradiction avec la « sécurisation » des relations professionnelles.
Autant les pouvoirs publics sont prompts à légiférer quand il s’agit de sécuriser les licenciements ou réduire les IRP, autant pour sécuriser les parcours syndicaux, les simples recommandations sont privilégiées : « ce n’est pas d’obligations nouvelles dont ont besoin les acteurs mais d’accompagnement, de souplesse et de possibilités de faire prévaloir le pragmatisme* » . Les mesures prises ces dernières années restent d’effet léger, soit parce qu’elles sont peu contraignantes pour les employeurs, soit parce que leur portée reste limitée à peu d’élus…
Il est pour le moins surprenant que le seuil de 30% de la durée du travail consacrée aux heures de délégation ait été maintenu pour la garantie de rémunération et pour les entretiens de fin de mandat dans les entreprises de moins de 2 000 salariés. En effet, 30% de la durée légale du travail (fixée à 1 607 heures annuelles pour un salarié à temps complet) équivaut à 482 heures de délégation par an, soit 40 heures par mois. Or, à défaut d’accord, les heures de délégation mensuelles instaurées par les ordonnances Macron plafonnent à 34 heures par mois (et ce, seulement pour les entreprises de 9 750 salariés et plus).
Dans la mesure où le cumul des mandats va devenir bien plus rare (puisqu’il n’y a plus qu’une seule IRP, le CSE), on peut gager que peu d’élus pourront bénéficier de ces mesures.
Alors que la négociation d’entreprise est portée au pinacle, et que le ministère du Travail se félicite des premiers accords de mise en place du CSE, nous avons examiné comment était traitée la question des parcours syndicaux dans ceux-ci.
Sur 100 accords signés depuis fin 2017, dans de petites comme de grandes entreprises de secteurs d’activité variés, seuls 20% abordent ce sujet. Globalement, les accords pêchent par une approche encore trop restreinte à l’énoncé de grands principes sans mesure concrète et avec peu d’engagements de la direction. Le traitement des parcours syndicaux risque fort de continuer à se faire au cas par cas selon le bon vouloir des directions… à récompenser tel élu ou à faire partir tel autre, quitte à financer une partie de son bilan de compétences…
Que l’engagement syndical ne rime pas avec frein sur la carrière, voire représailles (qui n’appartiennent pas au passé, il suffit de lire la presse pour s’en apercevoir) est la condition sine qua non pour que les salariés s’impliquent davantage dans les relations sociales de leur entreprise.
Néanmoins la normalisation des parcours syndicaux dans une gestion de carrière RH classique avec tout l’outillage habituel, dont les élus sont souvent amenés à constater les effets délétères sur les salariés, laisse songeur… Ce qu’on appelait les « carrières syndicales », avec prise de responsabilité dans la branche et au niveau interprofessionnel selon des règles propres aux organisations syndicales, pourraient être remplacées par des carrières de professionnels de la médiation sociale. L’avenir nous dira si élus et mandatés passeront sans fléchir d’agitateur social à animateur social…
A noter : que vont devenir les élus perdant leur mandat lors du passage en CSE ?
Selon les propres estimations du ministère du Travail, le nombre d’élus est en baisse d’un tiers par rapport aux instances séparées antérieures. Il faut donc prévoir que 200 000 élus vont perdre leur mandat d’ici fin 2019. Sur les 100 accords étudiés, seuls 6 ont intégré cette problématique en proposant notamment :
Et puisque le gouvernement et le parlement imposent aux autres de limiter leurs mandats à 3, n’oubliez pas de prévoir dans l’accord, une disposition spécifique permettant de préparer et anticiper la sortie définitive d’un mandat électif !
* Rapport Simonpoli – Gateau à la Ministre du Travail, Accompagner la dynamique du dialogue social par la formation et la reconnaissance de ses acteurs et par la valorisation des meilleurs pratiques, février 2018, p.4
Claire Blondet, Juriste
Afin qu’un syndicat puisse désigner un DS, en application de l’article L.2143-3 du Code du travail, il faut que deux conditions soient remplies :
Au titre de l’article R.2143-2 du Code du travail, le nombre de DS dépend de l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement distinct :
Il est possible de prévoir, par accord collectif, une augmentation du nombre de DS. En revanche, il est impossible d’augmenter ce nombre par un usage ou un engagement unilatéral de l’employeur (Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 01-60.641).
Pour répondre à cette question, il convient de se placer au niveau du périmètre souhaité : l’entreprise.
A ce niveau, pour savoir si un syndicat est représentatif, les 10 % des suffrages exprimés doivent être calculé en prenant en compte l’ensemble des suffrages exprimés au 1er tour, dans l’ensemble des établissements distincts de l’entreprise (on additionne donc tous les suffrages). Cette représentativité est essentielle pour avoir la possibilité de désigner un DS au niveau de l’entreprise.
Il existe des règles supplétives en l’absence de candidats ayant recueilli 10 % des suffrages. Selon l’article L.2143-3 du Code du travail, un syndicat représentatif peut désigner un DS parmi ses autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents ou encore parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice du mandat au CSE, dans l’un des cas suivants :
On ne peut souligner que l’ambiguïté du texte qui laisse penser, à sa lecture, que pour qu’un syndicat désigne un adhérent, il faudrait que tous les élus de l’entreprise (et non seulement présentés par le syndicat), y compris les non élus, aient renoncé à être désignés DS.
Toutefois, cette interprétation littérale est inconcevable, car cela pourrait priver de toute portée la représentativité du syndicat. Dans des précédents arrêts, antérieurs à la rédaction actuelle de l’article L.2143-3, la Cour de cassation allait dans ce sens (Cass. soc., 12 avril 2012, n°11-60.128 et n°11-60.219). Par conséquent, le syndicat peut désigner comme DS un de ses adhérents, à condition que tous les élus présentés sur sa liste aient renoncé à être désignés DS.
Marine AZAIS, Juriste
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