Dans cette affaire, un coursier « partenaire » de la société de livraison Take Eat Easy a saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande de requalification de son contrat de prestataire indépendant en un contrat de travail.
Dans son activité professionnelle, ce coursier estime être subordonné à l’entreprise Take Eat Easy, le lien de subordination caractérisant l’existence du contrat de travail. Selon lui, cette dernière a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses manquements.
Pour démontrer l’existence de ce lien de subordination, le livreur met en avant le système de pénalités mis en place par Take Eat Easy en cas de manquements des coursiers à leurs obligations contractuelles (une pénalité distribuée en cas de désinscription tardive d’un créneau horaire de livraison, d’absence de réponse à son téléphone pendant cet horaire ou d’incapacité de réparer une crevaison, 2 pénalités lors d’une connexion en dehors de la zone de livraison ou sans inscription sur le calendrier et 3 pénalités en cas de cumul de retards importants sur livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur…). Sur une période d’un mois, une seule pénalité ne porte à aucune conséquence, le cumul de deux pénalités entraîne une perte de bonus, le cumul de trois pénalités entraîne la convocation du coursier "pour discuter de la situation et de sa motivation à continuer à travailler comme coursier partenaire de Take Eat Easy" et le cumul de quatre pénalités conduit à la désactivation du compte et la désinscription des horaires de livraison réservés.
Le 20 avril 2017, l’arrêt d’appel retient qu’un tel système de pénalités ne suffit pas à caractériser un lien de subordination entre la société et son coursier. La Cour d’appel considère que les pénalités ne sont prévues que pour des comportements objectivables du livreur constitutifs de manquements à ses obligations contractuelles et ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail.
Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation et, le 28 novembre 2018, la Cour suprême lui donne raison : « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».
Dans leur décision, les juges de la Cour de Cassation précisent que l’application Take Eat Easy était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que, de plus, l’entreprise Take Eat Easy disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, prouvant l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination.
Cet arrêt du 28 novembre 2018 (17-20.079) est déterminant. Il pourrait permettre à de nombreux livreurs, travaillant dans les mêmes conditions que ceux de Take Eat Easy, de demander la requalification de leurs contrats en des contrats de travail et de bénéficier, ainsi, du statut de salarié, beaucoup plus protecteur que celui d’auto-entrepreneur.
La Cour de cassation envoie un signal fort au législateur : il est grand temps que le Parlement mette fin à ces contournements du droit du travail.
Malek SMIDA
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html
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