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La plume de l'alouette
Plume septembre 2021

DANS L’ACTU
Le fait religieux en milieu professionnel : Regards croisés entre fonctionnaires et salariés

La question du fait religieux en milieu professionnel « sent la poudre » pour reprendre les mots du doyen Jean Rivero. Provoquant débats passionnés et passionnants, mobilisant les concepts de laïcité et de neutralité, la religion demeure un sujet sensible dans le monde du travail et ce d’autant plus que les règles applicables diffèrent entre les salariés du privé et les agents publics.

Nous faisons le point sur les règles applicables à cette problématique lourde d’enjeux avec maîtres Diego Parvex et Franck Carpentier.

 

Quelle distinction peut-on faire entre laïcité et neutralité ?

 

Diego Parvex : La laïcité est un principe juridique d’acception assez large qui ne s’applique pas directement en droit du travail. Inscrite à l’article 1 de la Constitution, la laïcité vise à garantir à chacun la liberté de conscience et de religion ainsi que l’égalité stricte devant la loi, indépendamment de ses convictions personnelles.

Franck Carpentier : Afin de garantir cette égalité de tous les usagers, le droit de la fonction publique fait très volontiers appel au principe de neutralité. Ce dernier interdit aux agents de manifester leurs convictions personnelles, quelles qu’elles soient : économiques, philosophiques mais aussi religieuses. Ainsi, la neutralité religieuse qui s’impose aux agents publics – mais aucunement aux usagers du service public – est l’expression du principe de laïcité en matière de fonction publique.

 

Existe-t-il un principe général de neutralité religieuse applicable au monde du travail ?

 

DP : Dans le secteur privé non. Le principe est en effet celui de la liberté. Une entreprise peut donc avoir un caractère religieux. Il s’agit là d’une stricte expression du principe de laïcité : le droit français permet aux entreprises de reposer sur une éthique qu’elles estiment fondamentales. On les qualifie d’entreprises de tendance. Ce faisant, il existe des entreprises à caractère qui, en raison de cette éthique expressément affichée, vont pouvoir demander aux personnes qu’elles recrutent de partager ces valeurs.

FC : C’est une situation qui ne se retrouve pas dans le secteur public où le statut général de la fonction publique impose à

l’ensemble des agents, conformément à la Constitution française, se voient imposé une neutralité religieuse absolue à laquelle l’Etat est lui-même tenu.

 

Est-il possible d’interdire le port de signes religieux au travail ?

 

DP : Dans une entreprise, la réponse de principe est négative. Les salariés peuvent librement afficher leurs convictions philosophiques ou religieuses. Le port d’un couvre-chef, d’une médaille ou d’un vêtement témoignant d’une appartenance confessionnelle est autorisé. Un employeur qui interdirait à un salarié de porter un tel insigne, au seul motif qu’il témoignerait d’une obédience religieuse, commettrait une discrimination. Ce n’est que par exception, pour des raisons de
sécurité ou en cas de contact avec la clientèle que l’employeur peut alors légitimement interdire au salarié la manifestation de sa confession. En ce sens, l’article L.1321-2-1 du Code du travail prévoit que le règlement intérieur peut désormais contenir l’affirmation d’un principe de neutralité sous réserve que celui-ci soit justifié par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ou proportionné au but recherché.

FC : Le service public obéissant au principe de neutralité, les agents se voient systématiquement interdire le port de signes religieux. Au temps du service, la neutralité est donc absolue.

 

Peut-on parler de sujets religieux au travail ?

 

DP : Ici encore, la liberté est le principe. Les salariés de l’entreprise peuvent donc librement échanger sur des questions à caractère philosophique ou religieux sans encourir un risque de sanction disciplinaire. Comme souvent en droit, seul l’abus est sanctionné : le prosélytisme est ainsi interdit et justifie l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

FC : Sur cette thématique, la fonction publique se montre également très stricte. Si les usagers du service public peuvent évoquer des questions à caractère religieux avec les agents, ces derniers sont tenus d’éluder le sujet. Il n’est donc pas question de parler religion, ni avec ses collègues, ni avec les usagers.

 

Puis-je invoquer mon appartenance confessionnelle pour obtenir un aménagement de mes horaires de travail ? Un congé exceptionnel ?

 

DP : En droit privé, le principe demeure celui du consensualisme et de la libre négociation des parties. Par conséquent, vous pouvez toujours obtenir de votre employeur un aménagement de vos horaires de travail ou un congé exceptionnel pour motif religieux s’il l’accepte. Cependant, le Code du travail ne l’y contraint aucunement. Il faut donc, sur ces thématiques, agir en bonne intelligence.

FC : Ici encore, la fonction publique se montre extrêmement rigide de telle sorte que les convictions religieuses n’ont pas vocation à être invoquées sur de tels sujets. Notons cependant, et cela est également vrai pour le secteur privé, que la direction ne peut pas refuser que vous posiez des jours de repos acquis pour profiter d’une fête religieuse. Ce seul motif constituerait une discrimination sanctionnée par les juridictions. En revanche, un refus fondé sur les nécessités du service ou les besoins de l’entreprise, à l’exclusion de toute motivation discriminatoire, demeure possible.

 

Des questions de nature religieuse peuvent-elles être évoquées lors d’un recrutement ?

 

DP : Hormis l’hypothèse bien particulière des entreprises de tendance, la réponse est négative. Le Code du travail proscrit toute forme de discrimination qui serait fondée sur la confession d’un candidat.

FC : Il en va de même dans le secteur public. Le principe de laïcité est en effet un principe protecteur qui vise à permettre à tout citoyen, sans distinction de confession, de se porter candidat à l’emploi public de son choix. En ce sens, la neutralité religieuse imposée aux fonctionnaires est une garantie contre toute forme de discrimination.

DP : Ajoutons que ce principe de non-discrimination liée à la confession vaut durant toute la carrière du salarié.

FC : Exactement comme dans le public. Aucune sanction disciplinaire ne peut être prise pour un motif tiré de l’appartenance religieuse.

 

Le cas particulier des salariés des SPIC

Les services publics industriels et commerciaux (SPIC) sont des services publics d’une nature particulière. Hybrides par nature, ces structures contribuent au service public tout en obéissant à des règles d’organisation et de fonctionnement comparables à celles qui existent dans le secteur privé. Il en va notamment ainsi des salariés de ces structures qui sont soumis au droit privé et non pas au droit de la fonction publique.


Pour autant, la vocation des SPIC à servir le public entraîne leur soumission à certains grands principes du droit de la fonction publique. Tel est le cas en matière religieuse. Par un arrêt en date du 19 mars 2013, la Cour de cassation a affirmé que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Pour ces salariés, les dispositions du Code du travail n’ont donc pas vocation à s’appliquer : en raison de leur participation à une mission de service public, ils ne peuvent pas manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs.

 

Illustrations jurisprudentielles de ces grands principes

• Le refus de se soumettre à la visite médicale obligatoire pour un motif religieux constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

(Cass. soc., 29 mai 1986, n° 83-45.409)

• Un boucher ne peut pas invoquer ses convictions religieuses afin de refuser de toucher de la viande de porc sans commettre une faute disciplinaire justifiant son licenciement.

(Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738)

• Un fonctionnaire ne peut pas utiliser la messagerie électronique du service sur le site Internet d’une organisation religieuse.

(CE, 15 octobre 2003, n° 244428)

• Une fonctionnaire ne peut pas profiter de sa position pour distribuer des tracts à caractère religieux.

(CE, 19 février 2009, n° 311633)

 

Diego PARVEX / Avocat associé

 

Franck CARPENTIER / Avocat

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Mise à jour :jeudi 21 novembre 2024
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