Au cours des vingt dernières années, les questions de santé et de sécurité au travail ont pris une importance centrale dans le cadre de la relation et des obligations relatives au contrat de travail.
La place du CHSCT, les obligations en matière de prévention, les dossiers emblématiques de l’amiante, ou encore ceux de harcèlement, ont consacré le fait que la conclusion d’un contrat de travail emporte une responsabilité relative à la sécurité des salariés sous le lien de subordination.
Sans qu’il en soit fait table rase, les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles interrogent la place et la portée des obligations de prévention, santé et sécurité de l’employeur.
La fin du CHSCT (ordonnances Macron du 23 septembre 2017) - bien que ses prérogatives se retrouvent peu ou prou au sein du CSE - la réforme de l’inaptitude, comme celle de l’expertise pour projet important, en sont des illustrations à la symbolique forte.
Dans une même logique, aussi symbolique que pratique, certains prédisent la fin de l’obligation d e sécurité.
Mais qui dérange qui ?
Au titre de cette obligation, forgée par la jurisprudence au début des années 2000, l’employeur qui est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés, ne doit pas seulement diminuer le risque, mais l’empêcher. A défaut, il en porte la responsabilité (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 février 2002, pourvoi n° 99-18389).
Autrement dit, en cas d’accident ou de maladie liés aux conditions de travail, la responsabilité de l’employeur pourra être engagée, quand bien même ce dernier aurait respecté l’ensemble de ses obligations en matière de prévention, dans la mesure où l’obligation de résultat implique qu’à défaut d’atteinte du résultat (la préservation de la santé physique et mentale du salarié), l’employeur est responsable.
Mécaniquement, cette obligation de résultat peut limiter directement le pouvoir de direction de l’employeur. A titre d’exemple, dans le cadre d’une réorganisation potentiellement pathogène, la Cour de Cassation a pu décider que : « l’employeur ne peut prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité de ses salariés » (Cass. Soc. 5 mars 2008, « SNECMA », n°06-45888 - décision ATLANTES).
Cette décision a marqué profondément la doctrine et les entreprises car elle mettait y compris en cause le pouvoir même de direction et ses choix de réorganisation/organisation, voire de gestion.
Et l’on se souvient également du cas de France Telecom accusée d’avoir mis en œuvre une politique de déstabilisation des salariés qui s’était soldée par une cinquantaine de suicides, dont 35 pour les seules années 2008 et 2009.
Dans une logique comparable, le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Versailles a reconnu le 28 Juin 2013 la « faute inexcusable » de Renault après le suicide d’un salarié, à son domicile, le 16 février 2007. Le salarié du Technocentre de Guyancourt avait laissé une lettre dans laquelle ressortait la trop forte pression qu’il éprouvait. La justice a condamné le constructeur automobile à verser 50 000 euros à la veuve et la même somme à son fils. En 2011, son suicide avait déjà été reconnu comme accident du travail.
C’est la gestion, l’organisation de l’entreprise, la fixation d’objectifs déraisonnables qui conduit à exercer des pressions incessantes sur les salariés - et ce, quel que soit leur niveau hiérarchique - et le mode de management qui en découle qui ont été ici condamnés !
Il apparaît toutefois que depuis 2015 la jurisprudence de la Cour de cassation marque une évolution permettant à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité en justifiant qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés. (Cass. soc. 25 novembre 2015, « Air France »). Dans le même sens, par un arrêt de principe du 1er juin 2016 (Cass. Soc. 1er juin 2016, n°14-19702), la Cour est revenue sur son analyse « traditionnelle » du manquement par l’employeur de son obligation de sécurité en matière de harcèlement moral.
En résumé, jusque-là, en cas de faits de harcèlement entre collègues, dès lors que le harcèlement était établi, la responsabilité de l’employeur était quasiment toujours reconnue en application de l’obligation de sécurité de résultat. L’arrêt du 1er juin 2016 étend au harcèlement la logique de l’arrêt de 2015, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par la loi.
Certains ont voulu y voir la fin de l’obligation de sécurité de résultat.
Nous considérons qu’il n’en est rien.
Fondamentalement, parce que plusieurs décisions déduisent un manquement à l’obligation de sécurité d’une politique de prévention insuffisante (Cass. Soc. 5 juillet 2017 n°15-23.572 ; Cass. Soc. 27 septembre 2017 n° 15-28.605).
On peut d’ailleurs rappeler que l’arrêt précité de la Cour de cassation du 1er juin 2016 avait censuré l’arrêt d’appel ayant considéré que l’employeur avait tout mis en œuvre en matière de prévention et qu’il n’était de ce fait pas responsable : de par la nature même des faits de harcèlement moral qu’il s’agissait de prévenir, le dispositif mis en place par l’employeur était insuffisant car il se limitait essentiellement à faciliter la faculté, pour les salariés s’estimant victimes, d’en alerter directement leur employeur ou par l’intermédiaire de représentants du personnel (avec, par exemple, mise en œuvre dès connaissance d’un conflit personnel entre un salarié et son supérieur hiérarchique d’une enquête interne sur la réalité des faits avec une réunion de médiation avec le médecin du travail, le DRH et 3 membres du CHSCT).
Dans un même esprit, les arrêts du 6 décembre 2017 (n°16-10-885 à 16-10.891 non publiés), la Cour de Cassation considère même, tout en ne retenant pas le harcèlement moral, que l’employeur avait manqué à son obligation de prévention des risques psychosociaux.
La Cour précise dans ces décisions que « de très nombreux salariés de l’entreprise avaient été confrontés à des situations de souffrance au travail et à une grave dégradation de leurs conditions de travail induites par un mode de management par la peur ayant entraîné une vague de démissions », cela suffisant à caractériser « un manquement de l’employeur à son obligation de prévention des risques professionnels à l’égard de l’ensemble des salariés de l’entreprise ».
Ainsi, il ne s’agira pas pour l’employeur d’uniquement justifier qu’il a agi de manière réactive et immédiate, dès la connaissance des faits susceptibles de constituer une atteinte à la santé ou sécurité du salarié (prévention primaire nécessaire, mais non suffisante), mais surtout en amont, de mettre en œuvre une réelle prévention secondaire et donc de justifier qu’il a bien déployé toutes les actions propres à prévenir la survenance de faits (prévention secondaire).
On en revient ainsi nécessairement à la mise en œuvre des principes généraux de prévention, base de toute politique efficace de prévention des risques professionnels, notamment les actions d’information-sensibilisation et de formation à destination de l’encadrement.
En allant plus loin, on peut souligner que les juges du fond sont aujourd’hui très sensibles aux méthodes de gestion induites par le sous-effectif, les réorganisations multiples, la surcharge de travail conséquente ainsi que les conflits entre salariés qui ne sont pas des épiphénomènes ou des conflits personnels mais directement liés à l’organisation du travail, voire à l’absence de moyens non pas de prévention mais permettant l’exécution « normale » pour les salariés de leur contrat de travail.
Et l’expérience d’ATLANTES en témoigne : le cabinet a récemment obtenu plusieurs décisions établissant que l’insuffisance des moyens de fonctionnement dans l’entreprise peut devenir en soi facteur de risque…
… tout comme l’existence de politiques d’entreprise laissant perdurer un « management de pression » ou « inapproprié » - qui ne saurait s’euphémiser en « pratiques individuelles » ou présence de « personnalités fortes », comme tentent de le faire certaines directions.
Nul doute que les CHSCT et le CSE (avec la ou les commission(s) santé sécurité mise(s) en place), tout comme les organisations syndicales, doivent demeurer plus que jamais les principales vigies de la protection collective de la santé et de la sécurité des salariés en construisant et en portant l’exigence d’une réelle politique de prévention, en permettant une sanction et une réparation du préjudice à défaut.
Diego Parvex, Avocat associé
Benoit Masnou, Avocat
Au cours des vingt dernières années, les questions de santé et de sécurité au travail ont pris une importance centrale dans le cadre de la relation et des obligations relatives au contrat de travail.
La place du CHSCT, les obligations en matière de prévention, les dossiers emblématiques de l’amiante, ou encore ceux de harcèlement, ont consacré le fait que la conclusion d’un contrat de travail emporte une responsabilité relative à la sécurité des salariés sous le lien de subordination.
Sans qu’il en soit fait table rase, les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles interrogent la place et la portée des obligations de prévention, santé et sécurité de l’employeur.
La fin du CHSCT (ordonnances Macron du 23 septembre 2017) - bien que ses prérogatives se retrouvent peu ou prou au sein du CSE - la réforme de l’inaptitude, comme celle de l’expertise pour projet important, en sont des illustrations à la symbolique forte.
Dans une même logique, aussi symbolique que pratique, certains prédisent la fin de l’obligation d e sécurité.
Mais qui dérange qui ?
Au titre de cette obligation, forgée par la jurisprudence au début des années 2000, l’employeur qui est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés, ne doit pas seulement diminuer le risque, mais l’empêcher. A défaut, il en porte la responsabilité (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 février 2002, pourvoi n° 99-18389).
Autrement dit, en cas d’accident ou de maladie liés aux conditions de travail, la responsabilité de l’employeur pourra être engagée, quand bien même ce dernier aurait respecté l’ensemble de ses obligations en matière de prévention, dans la mesure où l’obligation de résultat implique qu’à défaut d’atteinte du résultat (la préservation de la santé physique et mentale du salarié), l’employeur est responsable.
Mécaniquement, cette obligation de résultat peut limiter directement le pouvoir de direction de l’employeur. A titre d’exemple, dans le cadre d’une réorganisation potentiellement pathogène, la Cour de Cassation a pu décider que : « l’employeur ne peut prendre, dans l’exercice de son pouvoir de direction, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité de ses salariés » (Cass. Soc. 5 mars 2008, « SNECMA », n°06-45888 - décision ATLANTES).
Cette décision a marqué profondément la doctrine et les entreprises car elle mettait y compris en cause le pouvoir même de direction et ses choix de réorganisation/organisation, voire de gestion.
Et l’on se souvient également du cas de France Telecom accusée d’avoir mis en œuvre une politique de déstabilisation des salariés qui s’était soldée par une cinquantaine de suicides, dont 35 pour les seules années 2008 et 2009.
Dans une logique comparable, le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Versailles a reconnu le 28 Juin 2013 la « faute inexcusable » de Renault après le suicide d’un salarié, à son domicile, le 16 février 2007. Le salarié du Technocentre de Guyancourt avait laissé une lettre dans laquelle ressortait la trop forte pression qu’il éprouvait. La justice a condamné le constructeur automobile à verser 50 000 euros à la veuve et la même somme à son fils. En 2011, son suicide avait déjà été reconnu comme accident du travail.
C’est la gestion, l’organisation de l’entreprise, la fixation d’objectifs déraisonnables qui conduit à exercer des pressions incessantes sur les salariés - et ce, quel que soit leur niveau hiérarchique - et le mode de management qui en découle qui ont été ici condamnés !
Il apparaît toutefois que depuis 2015 la jurisprudence de la Cour de cassation marque une évolution permettant à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité en justifiant qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés. (Cass. soc. 25 novembre 2015, « Air France »). Dans le même sens, par un arrêt de principe du 1er juin 2016 (Cass. Soc. 1er juin 2016, n°14-19702), la Cour est revenue sur son analyse « traditionnelle » du manquement par l’employeur de son obligation de sécurité en matière de harcèlement moral.
En résumé, jusque-là, en cas de faits de harcèlement entre collègues, dès lors que le harcèlement était établi, la responsabilité de l’employeur était quasiment toujours reconnue en application de l’obligation de sécurité de résultat. L’arrêt du 1er juin 2016 étend au harcèlement la logique de l’arrêt de 2015, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par la loi.
Certains ont voulu y voir la fin de l’obligation de sécurité de résultat.
Nous considérons qu’il n’en est rien.
Fondamentalement, parce que plusieurs décisions déduisent un manquement à l’obligation de sécurité d’une politique de prévention insuffisante (Cass. Soc. 5 juillet 2017 n°15-23.572 ; Cass. Soc. 27 septembre 2017 n° 15-28.605).
On peut d’ailleurs rappeler que l’arrêt précité de la Cour de cassation du 1er juin 2016 avait censuré l’arrêt d’appel ayant considéré que l’employeur avait tout mis en œuvre en matière de prévention et qu’il n’était de ce fait pas responsable : de par la nature même des faits de harcèlement moral qu’il s’agissait de prévenir, le dispositif mis en place par l’employeur était insuffisant car il se limitait essentiellement à faciliter la faculté, pour les salariés s’estimant victimes, d’en alerter directement leur employeur ou par l’intermédiaire de représentants du personnel (avec, par exemple, mise en œuvre dès connaissance d’un conflit personnel entre un salarié et son supérieur hiérarchique d’une enquête interne sur la réalité des faits avec une réunion de médiation avec le médecin du travail, le DRH et 3 membres du CHSCT).
Dans un même esprit, les arrêts du 6 décembre 2017 (n°16-10-885 à 16-10.891 non publiés), la Cour de Cassation considère même, tout en ne retenant pas le harcèlement moral, que l’employeur avait manqué à son obligation de prévention des risques psychosociaux.
La Cour précise dans ces décisions que « de très nombreux salariés de l’entreprise avaient été confrontés à des situations de souffrance au travail et à une grave dégradation de leurs conditions de travail induites par un mode de management par la peur ayant entraîné une vague de démissions », cela suffisant à caractériser « un manquement de l’employeur à son obligation de prévention des risques professionnels à l’égard de l’ensemble des salariés de l’entreprise ».
Ainsi, il ne s’agira pas pour l’employeur d’uniquement justifier qu’il a agi de manière réactive et immédiate, dès la connaissance des faits susceptibles de constituer une atteinte à la santé ou sécurité du salarié (prévention primaire nécessaire, mais non suffisante), mais surtout en amont, de mettre en œuvre une réelle prévention secondaire et donc de justifier qu’il a bien déployé toutes les actions propres à prévenir la survenance de faits (prévention secondaire).
On en revient ainsi nécessairement à la mise en œuvre des principes généraux de prévention, base de toute politique efficace de prévention des risques professionnels, notamment les actions d’information-sensibilisation et de formation à destination de l’encadrement.
En allant plus loin, on peut souligner que les juges du fond sont aujourd’hui très sensibles aux méthodes de gestion induites par le sous-effectif, les réorganisations multiples, la surcharge de travail conséquente ainsi que les conflits entre salariés qui ne sont pas des épiphénomènes ou des conflits personnels mais directement liés à l’organisation du travail, voire à l’absence de moyens non pas de prévention mais permettant l’exécution « normale » pour les salariés de leur contrat de travail.
Et l’expérience d’ATLANTES en témoigne : le cabinet a récemment obtenu plusieurs décisions établissant que l’insuffisance des moyens de fonctionnement dans l’entreprise peut devenir en soi facteur de risque…
… tout comme l’existence de politiques d’entreprise laissant perdurer un « management de pression » ou « inapproprié » - qui ne saurait s’euphémiser en « pratiques individuelles » ou présence de « personnalités fortes », comme tentent de le faire certaines directions.
Nul doute que les CHSCT et le CSE (avec la ou les commission(s) santé sécurité mise(s) en place), tout comme les organisations syndicales, doivent demeurer plus que jamais les principales vigies de la protection collective de la santé et de la sécurité des salariés en construisant et en portant l’exigence d’une réelle politique de prévention, en permettant une sanction et une réparation du préjudice à défaut.
Diego Parvex, Avocat associé
Benoit Masnou, Avocat
L’actualité du droit du travail et de ses évolutions… du bout des doigts.
En savoir plus