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La plume de l'alouette
Mars 2024

Le travail de nuit :
un rythme de travail cancérigène

De nombreuses études scientifiques ont révélé la dangerosité du travail de nuit pour la santé des travailleurs. Le travail de nuit peut être à l’origine de nombreux troubles impactant la santé (sommeil ; alimentation1) et contribuer à certains accidents de la circulation ou erreurs de travail2. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la loi prévoit un aménagement spécifique pour les femmes enceintes3.

Si le législateur a reconnu l’intérêt de protéger les femmes enceintes, pourquoi ne se préoccupe-t-il pas avec la même acuité de la santé de tous les salariés contraints de travailler de nuit ?
Le recours au travail de nuit doit certes être justifié, et il y a des secteurs d’activités où il ne fait pas débat (santé publique, sécurité nationale). Est-il toutefois pertinent de faire primer les intérêts économiques et financiers sur la santé des personnes ? Non seulement la loi l’autorise mais elle continue de rester muette alors que des études scientifiques ne cessent d’alerter sur les effets néfastes du travail de nuit sur la santé des salariés. Comment les représentants du personnel peuvent-ils se saisir du sujet pour tenter de protéger la santé des salariés ?

Des études scientifiques alarmistes

A/ Travailleuses de nuit et cancer du sein

Plusieurs études scientifiques relèvent une corrélation entre le travail de nuit et certains cancers. Une étude menée par les chercheurs de l’INSERM montre que le risque de cancer du sein est augmenté chez les femmes ayant travaillé de nuit.4

Pour rappel, le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes. Les facteurs de risque attachés à cette pathologie sont variés, certains sont clairement identifiés comme les mutations génétiques, un âge tardif à la première grossesse, d’autres sont liés au style de vie.

Cette étude réalisée en France a comparé le parcours professionnel de 1200 femmes ayant développé un cancer du sein entre 2005 et 2008 à celui de 1300 autres femmes.

Les résultats sont sans appel, le risque de cancer du sein était augmenté d’environ 30% chez les femmes ayant travaillé de nuit par rapport aux autres femmes. Cette augmentation était encore plus marquée pour les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans, ou pour celles dont le rythme de travail était de moins de 3 nuits par semaine, impliquant ainsi des décalages de phase plus fréquents entre le rythme de jour et le rythme de nuit.

Plusieurs hypothèses ont été avancées par les chercheurs pour expliquer le lien entre le travail de nuit et le cancer du sein. L’exposition à la lumière durant la nuit supprimerait le pic nocturne de mélatonine, substance naturelle permettant de lutter contre le développement des cellules cancérigènes. Une deuxième hypothèse est relative à la perturbation du fonctionnement des gènes de l’horloge biologique qui contrôlent la prolifération cellulaire. La troisième hypothèse concerne les troubles du sommeil qui pourraient affaiblir le système immunitaire, rendant les personnes plus vulnérables.

Le directeur de recherche souligne le problème de la prise en compte du travail de nuit dans une politique de santé publique et rappelle à ce titre que le nombre de femmes travaillant avec des horaires atypiques est en augmentation ce qui appelle à s’interroger sur l’intervention des pouvoirs publics sur la question.

B/ Travailleurs de nuit et cancers

Selon une étude publiée dans l’American Journal of Epidemiology en 2012, les travailleurs de nuit auraient trois fois plus de risque que les autres d’avoir un cancer de la prostate et deux fois plus d’avoir un cancer du côlon.5

De la même manière, ils sont 76% plus susceptibles d’être atteints d’un cancer du poumon ou d’un cancer de la vessie. En ce qui concerne les cancers de la prostate, du côlon et de la vessie, les risques sont plus élevés pour les hommes qui ont travaillé au moins 10 ans de nuit.

Le Centre International de Recherche sur le Cancer (Circ) avait classé en 2007 le travail de nuit dans le groupe des cancérogènes probables pour l’homme (catégorie 2A) et a réaffirmé cette classification en 2019. Les cancers concernés sont : sein, prostate et colon/rectum. Ce n’est donc pas une nouveauté.

Pourtant, la loi ne prévoit toujours pas de réel dispositif pour protéger, accompagner et indemniser les travailleurs de nuit qui auraient des problèmes de santé avérés.

Un cadre légal insufisant

A/ Une logique davantage réparatrice que préventive

D’un point de vue collectif, la loi confie aux partenaires sociaux le soin de négocier un accord d’entreprise ou de groupe relatif à la prévention de la pénibilité au travail. C’est sans compter sur le fait que tous les travailleurs de nuit n’entrent pas dans le dispositif de pénibilité, il s’agit seulement des salariés exposés au-delà des seuils fixés, à savoir 120 nuits par an pour les heures effectuées entre 00h et 5h6.

En théorie, les points cumulés sur le compte pénibilité permettent aux salariés concernés de se former à un emploi moins exposé, de gagner plus ou de partir plus tôt à la retraite.

En réalité, la seule possibilité pour un travailleur de nuit de faire reconnaître le lien entre ses problèmes de santé et le travail de nuit est de produire une demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Une procédure, qui, rappelons-le, est longue et incertaine et oblige à accomplir de nombreuses démarches administratives et médicales.

D’un point de vue individuel, la loi prévoit un suivi médical « renforcé7 » pour les travailleurs de nuit, mais la périodicité de ce suivi est fixée arbitrairement par le médecin du travail8, sans pouvoir toutefois excéder trois ans9.

B/ Un enjeu important pour les représentants du personnel

En premier lieu, il appartient aux délégués syndicaux de se questionner sur la place (pourquoi ?) et les modalités de recours (qui ? comment ?) et de mise en place au travail de nuit lors de la négociation d’un accord sur le sujet, que ce soit à propos de sa mise en place ou de son extension à de nouvelles catégories de salariés10.

En second lieu, dans le cadre de la consultation récurrente du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, l’employeur devra présenter aux élus un bilan sur le travail de nuit11. À cette occasion, les élus du CSE pourront donc questionner l’employeur et le médecin du travail, communiquer auprès des salariés pour recueillir des témoignages (ex : déclaration de maladie professionnelle en cours) ou besoins (ex : aménagements d’horaire sur avis médical).

Enfin, le CSE, avec l’aide des délégués syndicaux, peut négocier avec l’employeur des autorisations d’absences rémunérées pour inciter les salariés à effectuer des dépistages plus fréquemment et ainsi participer à la prévention des risques professionnels, conformément à ses missions.

Les choses avancent. Le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) a reconnu, fin mars 2023, le cancer du sein d’une ancienne infirmière comme une maladie professionnelle en raison d’une corrélation avérée entre l’exercice de son travail pendant la nuit et sa maladie. Cela lui permet de bénéficier d’une ouverture de prestations sociales et d’une indemnisation. C’est un début encourageant qui nécessite encore d’être généralisé et institutionnalisé.

 

Alison VILLIERS
Juriste / Atlantes Nantes-Grand Ouest

 


1 - Greg Belenky, MD, director of the Sleep and Performance Research Center at Washington State University Spokane.
2 - Barger et al., 2005, USA, Cohorte prospective/Scott et al., 2007, USA, Cohorte prospective/ Lockley et al., 2004, USA, Etude comparative.
3 - Ouvrage de l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents sur la grossesse au travail publié en 2010.
4 - « CECILE », étude épidémiologique, publiée en juin 2012, Pascal Guénel, Institut National de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
5 Etude épidémiologique, menée par Marie-Élise Parent, Mariam El-Zein et Marie-Claude Rousseau du Centre INRS–Institut Armand-Frappier ;
Javier Pintos et Jack Siemiatycki du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
6 - C. trav., art D. 4161-2.
7 - C. trav., art. L. 3122-11, C. trav., art. R. 3122-11.
8 - C. trav., art. L. 4624-1.
9 - C. trav., art. R. 4624-17.
10 - C. trav., art. L. 3122-15.
11 - C. trav., art. L. 2312-27
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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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